DRAC PACA bilan 1993 Cap Sicié

DRAC PACA bilan1995 Cap Sicié

Colloque La Seyne sur Mer 2003 Cap Sicié

 

 

"Les flammes du foyer illuminaient la sombre cloison de bois sur laquelle des visiteurs avaient griffonné, à la pointe du couteau ou d'un tison, des visages, des bateaux, des poissons. Pedro... se leva pour aller chercher son couteau qu'il affûta sur une meule. Puis il choisit un espace libre sur les planches noircies et se mit à son tour à dessiner."

Francisco Coloane, Le sillage de la baleine, Paris, Phébus, 1998, p.54.

Graffiti navals en Provence

Philippe Rigaud

Le travail sur les graffiti navals, conduit par l'association "Rivages de Méditerranée" s'inscrit dans le cadre d'une prospection entrepris en Provence et dans une moindre mesure en Languedoc et au-delà . Cette recherche concerne aussi l'établissement d'une bibliographie et d'un corpus informatisé. Une sensibilisation du public est également proposée par l'organisation d'expositions permanentes (à l'abbaye de Montmajour en 1996 par exemple). Actuellement, les prospections se sont surtout effectuées pour des raisons pratiques sur trois départements provençaux, les Bouches-du-Rhône, le Var et les Alpes de Haute-Provence.
Ces recherches de terrain ont été réalisées pour une part importante, à partir de corpus déjà connus ou du moins signalés mais non étudiés. Au cours des prospections, de nouvelles découvertes ont également été réalisées, notamment en milieu urbain.
De nombreux autres sites ont été signalés mais n'ont pas encore été prospectés ni étudiés. Autant dire que le potentiel régional existant paraît d'une grande diversité tant au niveau de la répartition spatiale, chronologique que sur le nombre et la qualité .


Relevés et moulages

Les relevés sont réalisés très classiquement par le moyen d'éclairages rasants afin de rechercher les traits et de les évaluer. Le relevé proprement dit s'effectue en utilisant des feuilles de rhodoïd transparent plaquées sur le tracé en notant tous les traits y compris ceux que l'on peut considérer comme parasites (un "nettoyage" postérieur peut les évacuer afin de rendre plus lisible le sujet sélectionné).
Des moulages peuvent être effectués par: application de plastiline sur les incisions (en appuyant fortement), puis ce positif est reproduit dans un cadre rempli de plâtre. Sur ce plâtre frais il est souvent nécessaire de reproduire la patine du support original par l'adjonction de poussière (celle du support) ou d'un éventuel colorant (ocres diverses).
Une autre méthode, notamment en cas de fragilité du support consiste en l'application d'une fine couche de silicone liquide (au pinceau). Le processus est ensuite identique pour l'obtention du moulage en négatif. Le passage au scanner du moulage permet d'intégrer le relevé dans un fichier informatique (le résultat est meilleur qu'à partir d'une photographie classique). Si l'on souhaite obtenir une image "retravaillée", il est possible de procéder à un estampage, à partir du moulage, par adjonction de couleur(s) sur un support papier (aquarelle, gouache).
Ces dispositifs ne sont pas applicables aux dessins faits au moyen de peintures, sanguine ou charbon.
Des photographies sont également réalisées, mais pour ces dernières il est parfois difficile d'obtenir de bons résultats. Ceux-ci dépendent de l'éclairage (naturel et/ou artificiel) et de la qualité du dessin (incisions plus ou moins profondes, altérées...). Depuis, l'utilisation de la photographie numérique permet d'intégrer immédiatement l'image sur informatique et éventuellement de procéder à un traitement graphique.


Techniques de réalisation des représentations navales

La plupart des graffiti navals relevés ou identifiés ont été réalisés à l'aide d'une pointe sèche métallique, en incisions plus ou moins profondes, selon la qualité du support et l'emploi plus ou moins accentué de l'outil (alêne, clou, pointe de couteau, etc...). L'altération des surfaces exposées à l'air ou aux ravalements, les calcaires tendres ou vacuolés, les enduits souvent fragiles, peuvent jouer sur la qualité du trait.
Quelques représentations ont été dessinées avec du charbon de bois et une mine de plomb (crayon gris), au Grand Langoustier à Porquerolles, ou à la pointe de sanguine (l'un des outils de traçage des carriers) sur l'Hôtel de Ville d'Arles, dans une carrière des Baux, à Mormoiron, à la Tour Philippe le Bel de Villeneuve...


Le thème naval

Le graffito naval, dans le foisonnement des thèmes traités par cette expression spontanée, occupe une place privilégiée par son abondance et sa continuité dans le temps.
La représentation du bateau est ancrée dans l'imaginaire comme un vecteur du voyage, porteur de rêves, comme une projection symbolique, témoignage d'une réalité souvent, sans doute, vécue par les utilisateurs eux mêmes: des marins dessinent leurs bateaux...

La stylistique, la configuration permettent parfois de rapprocher l'image graphique rupestre de modèles plus conventionnels, ceux documentés par une iconographie plus traditionnelle . Ainsi, l'objet proposé, le graffito naval, peut souvent être mis en correspondance avec un objet reconnu par des réalisations artistiques mieux connues. En ce sens, l'analyse typologique comparative des graffiti de navires avec l'abondante iconographie de cette thématique ouverte élargit assez largement les champs d'interprétations. Il reste bien entendu que la comparaison est parfois aléatoire et peut être sujette à caution.
Ces mêmes interprétations peuvent également s'appuyer sur le contexte environnant, le support et sa localisation, dans un espace circonscrit (milieu urbain, rural, religieux, civil, militaire ou parfois plus diffus, du moins dans une première approche.
Les supports ne sont pas fortuits, divers. Ils entrent pour nombre d'entre eux dans les variantes interprétatives proposées par l'analyse. Sur, dans ou à proximité d'un édifice religieux, il est possible de rattacher ces nauticae à une expression de la ferveur religieuse qui va transporter la foi et la demande sur un mur, un pilier d'église, la base d'un autel...
L'ex-voto peut alors être mis dans une spontanéité mise en relation avec le passage de marins, gens de mer ou de fleuve, en quête d'une protection à venir pour un voyage éprouvant, dangereux, mais aussi en vue d'une action de grâce auprès d'un saint vénéré, de la Vierge Marie: la "stella maris" salvatrice incontournable du danger maritime. Les témoignages écrits (hagiographies, prières, cantiques...) s'accordent pour des interprétations allant dans ce sens.


Les sites de graffiti en Provence

Les sites religieux provençaux sont nombreux à détenir ces représentations que l'on peut considérer comme des ex-voto: en Arles (Bouches-du-Rhône) l'abbaye de Montmajour , l'église des Carmes, l'église des Carmélites, l'église Saint-Julien; à Lamanon (Bouches-du-Rhône) une pierre provenant de la chapelle Saint-Jean sur le site médiéval de Calès); à Martigues (Bouches-du-Rhône) la chapelle de l'Annonciade, à Lucéram (Alpes-Maritimes) la chapelle de Notre-Dame de Bon-Coeur; à Brue Auriac (Var) l'église paroissiale; à Peyrolles (Bouches-du-Rhône) la chapelle du Saint-Sépulcre; à Sisteron (Alpes de Haute-Provence) dans la chapelle Saint-Marcel...

Outre les bâtiments religieux, certaines constructions à usages laïques supportent ce type de dessins. Il faut citer en premier lieu des édifices à destination ludique (certaines galeries de l'amphithéâtre romain), ou politique. L'exemple de l'Hôtel de Ville d'Arles est peut être significatif du transfert de l'attente religieuse vers un signifiant inséré dans une démarche marquée par une période où l'idéologie révolutionnaire s'inscrit dans un renversement et un transfert des valeurs traditionnellement liées au fait spirituel chrétien. Les dessins de l'Hôtel de Ville d'Arles sont bien situés par des datations explicites et par la mise en relation avec des représentations des types de navires allèges d'Arles et/ou tartanes en usage dans cette région du delta du Rhône et dans cette période. Les marins d'Arles sont connus pour leur engagement républicain et révolutionnaire (ces graffiti ont été dessinés en 1793) .

Des maisons particulières peuvent être également porteuses de ces dessins. Sur les sites gallo-romains comme celui de Glanum (Bouches-du-Rhône) une pierre de façade d'une maison urbaine porte un navire antique et à Cucuron (Vaucluse), un graffito sur enduit -très élaboré- a orné une villa du IIIe siècle .
Arles, une fois de plus, détient un assez grand nombre de graffiti navals. Ils se trouvent en milieu urbain mais également rural (mas de Sonnailler, mas de Saxy), sur les murs extérieurs des maisons, dans les rues généralement à hauteur de bras ou encore sur des murs d'enceinte (mas de Saxy) . A Riez (Alpes de Haute-Provence) des hôtels particuliers ayant reçu des gens de passage (troupes en particulier) sont riches en représentations nautiques. Des maisons particulières comme à Mormoiron (Vaucluse), une pierre de réemploi à Sigonce et aux Mées (Alpes de Haute-Provence), possèdent de beaux dessins sans oublier le château de la Colette à Lourmarin (Vaucluse).
Un autre lieu, significatif également, entre dans une catégorie précise il s'agit des supports muraux que peuvent offrir un lieu d'enfermement comme les geôles et les prisons. Dans notre région pour le moment, six sites peuvent être décomptés dans cette catégorie, un bâtiment annexe de la basilique de Saint-Maximin (Var), l'église du fort Saint-Jean à Marseille, une geôle de l'Hôtel de Ville d'Arles, quelques salles du château de Tarascon (Bouches-du-Rhône) , la tour de Constance à Aigues-Mortes (Gard), une salle du fort Saint-André à Villeneuve les Avignon (Gard).

Les fortifications militaires constituent également un support privilégié pour les représentations navales. On trouve un exemple à Villefranche dans un fossé de la citadelle, sur un parapet à Entrevaux et dans certaines salles de la forteresse, à l'île Saint-Honorat (Alpes-Maritimes) dans un four à boulets . Au fort du Grand Langoustier dans l'île de Porquerolles (Var), un mur de contrescarpe présente un nombre non négligeable de ce type de dessins réalistes ; un dessin se trouve au château des Baux (Bouches-du-Rhône) et un autre dans une salle de la tour Philippe le Bel à Villeneuve les Avignon (Gard). Dans la tour de Crest (Drôme) dont les nombreux graffiti ont récemment été publiés, on distingue quelques vaisseaux de haut bord .

D'autres sites sont dans des lieux d'accès difficile. Il s'agit d'espaces hors des milieux urbanisés comme ceux des massifs de montagne. Un exemple particulièrement prestigieux est donné par la Vallée des Merveilles, dans la région du Mont Bégo (Alpes-Maritimes). S'il est vrai que les sites à représentations navales ne semblent pas concerner la période protohistorique pour laquelle la région est connue, il n'empêche que les graffiti de navires (d'époque historique) existent bel et bien et sont dispersés dans la zone archéologique .
Le massif du cap Sicié (Var) a été récemment révélé comme un véritable conservatoire de la tradition nautique méditerranéenne, avec une extraordinaire continuité dans la pratique et la diversité des représentations . Des grottes peuvent posséder ce type de dessins. Une représentation se trouve sur une paroi de l'une d'elles dans les environs de la Turbie (Alpes-Maritimes) .


Typologie et datation des représentations navales provençales

Les typologies des navires, déterminables par comparaisons stylistiques, comme nous l'avons souligné plus haut, sont souvent des éléments assez sûrs (en fonction de la qualité et de la "lisibilité" du dessin), pour émettre des hypothèses de datation (en chronologie relative) d'après les critères technologiques innovants ou perdurants des navires en usages aux périodes considérées. Les supports/surfaces sont également des critères de datation mais moins précis. Ils donnent cependant des termini post quem.

En Provence les plus anciennes représentations datent de l'Antiquité et sont des navires de charges du IIIe siècle (Glanum, Cucuron) assez bien connus par l'iconographie classique (mosaïques, peintures et autres graffiti du monde méditerranéen).
Pour l'époque médiévale, les éléments les plus anciens sont ceux découverts récemment dans le cloître de Montmajour. Il s'agit pour l'essentiel de dessins de navires longs de type galère que nous avons pu dater de la fin du XIIe-début du XIIIe siècle.
Une pierre gravée d'un navire médiéval (XIVe siècle ?) est visible au musée de Lamanon. Elle provient semble-t-il du site castral de Calès.
Les dessins gravés dans une salle du château de Tarascon offrent un panorama assez précis des flottes de galères et nefs de Méditerranée (fin du XVe siècle ou début du siècle suivant). Mais ces derniers dépassent par leur caractère très élaboré le simple graffito exécuté dans la spontanéité .
A Lucéram, dans la chapelle Notre-Dame de Bon-Coeur, sur les enduits peints et fresques (fin du XVe siècle), apparaissent des graffiti montrant des nefs et galères que l'on peut dater du XVIe siècle.
Dans la chapelle du Saint-Sépulcre, à Peyrolles, le dessin d'une nef également du XVe siècle est encore bien visible. Des traces d'autres navires sont encore discernables mais le mauvais état des supports en a largement altéré la conservation.
Le cas du massif du cap Sicié est exceptionnel par le nombre extrêmement important de dessins, leur qualité, leur diversité. On peut dater l'ensemble -dans une étonnante continuité du thème- entre la fin du XVe et la première moitié du XIXe siècle. Sur les quelques 150 sites rupestres découverts la multiplicité des représentations est impressionnante depuis la simple barquette de pêche à voile latine et à rame en passant par la caravelle, la carraque, la nef de charge et la grande famille des galères, birèmes ou trirèmes, galiotes, brigantins, fustes... Des vaisseaux et frégates des XVIIe-XVIIIe siècles cohabitent avec des chébecs, tartanes et un vapeur à aubes du milieu du XIXe siècle...
Les autres sites concernent essentiellement des représentations du XVIe siècle (un galion à Mormoiron); du XVIIe siècle, (galères et vaisseaux dans une geôle en Arles et probablement de la fin ce siècle une belle esquisse d'un vaisseau à Sisteron, d'autres vaisseaux élégamment stylisés à Riez) et surtout des XVIIIe et XIXe siècles sur les roches de la Vallée des Merveilles, des galères de la maison de Savoie et des trois mâts..., des graffiti de marins espagnols et anglais prisonniers dans le château de Tarascon, des allèges et tartanes en Arles un peu partout dans la ville et dans quelques mas environnants, à Marseille des graffiti de marins anglais détenus dans la chapelle du fort Saint-Jean, également des navires stylisés à Brue Auriac, à Sigonce et Entrevaux, aux Mées un navire avec une pièce d'artillerie en proue, etc...).
Le XXe siècle est beaucoup moins illustré mais peut révéler des surprises: une scène de combat aéronaval (Seconde Guerre Mondiale) a été dessinée au charbon dans la Tour du Fanal à Marseille (fort Saint-Jean) et un graffito de sous-marin se trouve dans l'église Saint-Césaire d'Arles. Les darses des bassins de carénages dans le port de la Joliette à Marseille proposent quelques silhouettes peintes de navires récents souvent associées au nom du bateau.


Un projet en cours

Paradoxalement, ces sources originales pour l'histoire des mentalités et des techniques dans une région possédant une importante façade maritime et un arrière-pays fournisseur de matière première pour la construction des navires, n'avaient été jusqu'à présent que peu exploitées. De fait, et cela se révèle peu à peu avec les découvertes réalisées chaque année, les grandes originalités sont à rechercher dans la chronologie, de l'Antiquité à l'époque contemporaine, et la pluralité des représentations souvent alliée à une réelle qualité des dessins. De l'acte spontané à l'ex-voto, les navires provençaux gravés ou dessinés sur des supports divers dévoilent l'étendue d'un vaste champ iconographique encore en exploration.
Les prospections, relevés et analyses, ne sont qu'au début de réalisation de ce projet de recension thématique. Cet inventaire ambitieux pourra être mis en relation avec l'ensemble de cette expression spontanée partout où elle se trouve et tout particulièrement dans le bassin méditerranéen.


Philippe Rigaud


Des graffiti marins ont été relevés dans divers lieux.

L'Abbaye de Montmajour, non loin des remparts de la ville d'Arles, est riche d'un passé somptueux. Objet d'un patient travail de restauration, elle a dévoilé plusieurs graffiti marins datant des XIIème et XIIIème siècles.
Des spécialistes, chercheurs et historiens de l'association Rivages de Méditerranée ont étudié ces témoignages à peine visibles de petites gens, simples matelots.
Une exposition permanente, conçue et coproduite par la caisse nationale des monuments historiques, la Direction Régionale des affaires culturelles et association "Rivages de Méditerranée" est visible dans la galerie ouest du cloître de l'Abbaye.

Des T.shirts "Rivages de Méditerranée avec ce graffito sont disponibles :

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