site Rivages de Méditerranée


La voile latine

par Philippe Rigaud

(Cet article a été publié -en occitan- dans le journal Aquò d'aqui, n°149 octobre 2001.


En Méditerranée, depuis le Haut Moyen Age, la voilure caractéristique des navires sillonnant la mer est la voile latine. Ce type de gréement n'exclut pas cependant l'existence d'autres types de voiles, carrées, trapézoïdales (dites à balestron ou à livarde). Toutefois cette voile triangulaire montée sur une antenne est devenue emblématique des navigations de la mer intérieure.
De fait ce type de voilure possède d'excellentes performances aérodynamiques permettant de bien serrer le vent.
Son origine est sujette à controverse. Il semble en effet que la voile latine en Méditerranée découle d'une évolution de la voile carrée antique, mais il est encore difficile d'affirmer que la voile latine était déjà présente dans l'Antiquité. Elle apparaît avec certitude à partir du VIème siècle comme le témoigne la peinture monochrome, (aujourd'hui disparue), de la felouque des Kellia en Haute Egypte, (vers 600-630), ou encore dans le manuscrit grec de Grégoire de Naziance (880).
On peut tenter de donner quelques explications à son apparition. Après la fin de l'Empire romain d'Occident et la perte de la suprématie maritime, les routes de navigation deviennent moins sûres, les croisières hasardeuses, le commerce maritime se transforme essentiellement en un trafic côtier.
La voile carrée, très efficace sur les longs parcours au vent portant du fait de sa grande symétrie, devient alors nettement moins appropriée. A l'inverse, la voile latine en permettant de mieux remonter au vent est plus efficace pour longer les côtes et pratiquer le cabotage.
Son usage dû être rapide et, très vite, les navires de guerre ou de commerce seront grées "latins".
Avec la reprise des échanges commerciaux, le tonnage des navires augmenta, nécessitant une force propulsive plus importante. Le nombre de mâts se multiplia ce qui permit d'augmenter la surface de voilure tout en la divisant afin d'obtenir un meilleur équilibre en marche.
Malgré cette fragmentation, la taille et le poids des antennes (soutenant la voile) devinrent un obstacle au développement de ce type de gréement (une antenne de mestre de galère pouvait mesurer plus de 30 m et peser jusqu'à une tonne et demie). La manoeuvre de ces espars était extrêmement délicate, voire dangereuse dés que le vent forcissait et nécessitait un équipage important. De plus les impératifs économiques liés au commerce impliquant une réduction des effectifs et une diminution des charges salariales la voile latine exclusive fut donc peu à peu supplantée au profit des navires à "phares" carrés qui, du fait de leur voilure très divisée, n'avaient besoin que d'un équipage limité.
Plus tard, dans les années 20 du XXème siècles on substitua à l'usage de la voile latine surtout sur les tartanes et autres navires de tailles similaires la voile aurique qui ne nécessitait pas d'envoyer les mousses sur l'antenne afin de ferler la voile. Cette évolution cherchait à éviter les nombreux accidents du travail.
La voile latine ne subsista plus que sur des navires de petites tailles à l'usage de la pêche.

Pendant les périodes médiévales et modernes, l'usage de bateaux à gréement latin est extrêmement répandu notamment pour ce qui concerne de la guerre de course pratiquée par tous les riverains de la Méditerranée.
Si n'importe quel navire pouvait faire l'affaire, pourvu qu'il soit rapide et suffisant pour transporter suffisamment de monde, dans les faits ce sont quelques types qui sont le plus couramment employés.
Pour cet usage de la course (entre les XIVème-XVIIème siècles) on trouve surtout des navires à propulsion mixtes, voiles et rames. Les galères et les dérivés de cette grande famille en sont les représentants les plus connus et les plus répandus. Ils offraient en effet une technicité de haut niveau alliant ainsi à l'efficacité du gréement latin aux allures montantes ("à serrer le vent") la mécanique des rames lorsque le vent faiblissait ou tombait ce qui arrive souvent en été en Méditerranée.
Actuellement, si la guerre de course a cessé depuis déjà longtemps et la pêche traditionnelle convertie à la motorisation du moins en Europe, la voile latine n'a pas disparu.
On assiste depuis quelques années à un renouveau de ce type de gréement et on redécouvre dans la plaisance l'usage amélioré de cette pratique traditionnelle, millénaire.
Ce sont des tartanes, des catalanes, des "pointus" et des bettes qui fréquentent à nouveau les rivages de la Provence et du Languedoc, sans oublier la Catalogne et la Ligurie pour rester sur nos littoraux du Nord Ouest de la Méditerranée.
Avec cet usage ludique redécouvert par les passionnés, vient s'ajouter le plaisir esthétique, la recomposition d'une palette diversifiée qui s'offre de plus aux utilisateurs associant ainsi plaisir et sérieux dans les restaurations, les reconstitutions et la pratique active.
Il sera nécessaire un jour que l'on voie -parfois cela se fait- la recherche et la création de nouveaux modèles avec l'emploi de matériaux modernes et performants alliant ainsi une tradition millénaire avec les technologies de pointe du XXIème siècle.

accueil